• Les conscrits

  1. GENS D’ICI
  2. • TRADITIONS
  3. • Les conscrits

 

LES CONSCRITS

 

     La suppression du service militaire obligatoire n’a pas marqué la fin d’une tradition qui s’était déjà perdue bien avant. Encore que certaines communes aient conservé ou retrouvé la tradition, comme par exemple à Zutzendorf, dans le Pays de Hanau  >>> article à consulter.
     Mais à part quelques exceptions, il est loin le temps où les conscrits accompagnés de musiciens se rendaient au conseil de révision, assis sur une charrette décorée, tirée par des chevaux puis plus tard par un tracteur. Au retour, nos Muschterungsbuewe faisaient souvent la fête pendant trois jours… et autant de nuits.

Les conscrits de Weislingen

 

La conscription et les traditions liées à la conscription
(par Annelise BOUR)

Sources : Encyclopédie d’Alsace / Causeries et exposition du Groupe d’Histoire Locale de Diemeringen
Crédit photos : Collection du Groupe d’Histoire Locale de Diemeringen (noir et blanc) et Annelise BOUR
© Annelise Bour et Société d’Histoire de l’Alsace Bossue (Bulletin n° 51/2005). Reproduit avec l’aimable autorisation de l’auteur et de la Société, que nous remercions.

     La conscription naquit le 5 septembre 1798. Le Directoire adopta la loi Jourdan, rendant le service militaire obligatoire pour les jeunes gens entre 20 et 25 ans.
     Cette loi permit à Napoléon 1er de trouver des troupes pour ses campagnes contre les Autrichiens et les Russes. L’Alsace a fourni aux armées impériales un contingent important de soldats, dont beaucoup laissèrent leur vie sur les champs de bataille.
      Après la chute de l’empereur, la France retrouve une période de paix et de ce fait le service militaire ne fut plus obligatoire pour tous ; seuls ceux désignés par le tirage au sort partaient. A cette époque le service militaire durait …7 ans ! Ainsi, en admettant qu’en l’an 1830 la classe d’âge concernée par la conscription comptait 500 garçons pour un canton donné, si ce canton devait fournir 300 jeunes recrues, tous les garçons ayant tiré au sort un numéro de 1 à 300 feront leur service, et les chanceux pourvus d’un numéro de 301 à 500 seront exemptés de ces longues années de service militaire, loin de leur foyer. Il restait néanmoins à ceux qui avaient tiré un mauvais numéro la possibilité de se faire remplacer par un volontaire, s’ils avaient assez de fortune pour payer un remplaçant (à savoir qu’un tel volontaire pouvait ainsi effectuer plusieurs périodes de 7 années). Ce système fonctionnera en Alsace jusqu’en 1870, date à laquelle notre province est devenue allemande.
      Pendant la période allemande, les garçons devaient aussi effectuer leur service militaire. Les plus grands et les plus forts étaient sélectionnés pour la garde impériale à Berlin, et c’était un très grand honneur de pouvoir affirmer : “J’effectue mon service à Berlin, dans la garde de l’Empereur.”
      Mais venons-en à nos traditions et rites de conscription. Chaque région d’Alsace possédait ses coutumes et croyances particulières destinées à assurer au jeune garçon un numéro favorable. Cela allait de la messe dite spécialement à cette intention, à des pratiques plus païennes comme de mettre dans sa poche un os humain, subtilisé dans un cimetière la nuit, ou encore les membres de trois crapauds sacrifiés !
      Quand l’Alsace redevint française, après la première guerre mondiale, le service militaire obligatoire fut remis en vigueur comme dans tous les départements français (en fait, durant la période allemande il l’était aussi).

Les conscrits : photos de groupes

Les conseils de révision
      Les jeunes hommes passaient par classe d’âge devant un Conseil de révision, composé du médecin militaire, du conseiller cantonal (de nos jours ce serait le conseiller départemental), des maires des villages concernés et du sous-préfet. Cela se passait au chef-lieu du canton.
      La fonction de ce conseil était de les déclarer aptes ou inaptes au service militaire : on appelait cet examen la Muschterung (la conscription).
      Les motifs d’exemption les plus courants étaient : les pieds plats (Bladfiess), une déficience cardiaque (Herzfaler), une mauvaise vue (Auefaler).
      Les garçons n’essayaient que rarement d’échapper aux obligations militaires, quand le service était obligatoire pour tous (contrairement à ce qui se passait à l’époque du tirage au sort). Cet examen médical était perçu comme une confirmation de bonne santé et de virilité!

La fête
      Au retour du Conseil de révision, les conscrits (d’Muschterungsbuewe) faisaient souvent la fête pendant trois jours et trois nuits !
      Ils s’étaient rendus en groupe au chef-lieu du canton, assis sur une charrette décorée, tirée par des chevaux puis plus tard par un tracteur, des musiciens les accompagnaient. Après le conseil de révision, ils traversaient les rues de leur village, installés sur ces charrettes, coiffés de leurs chapeaux noirs, richement ornés de rubans de soie multicolores, brodés de fleurs ou rayés.
      Avant la seconde guerre mondiale, des bouquets de fleurs somptueux en papier et en plumes chatoyantes étaient fixés sur le chapeau. Dans certaines régions d’Alsace, un tablier blanc, brodé aux initiales et dates de la classe, parfois autour d’un emblème professionnel, complétait la tenue.

Les conscrits : tenues de fête

      A la sortie du conseil de révision, les jeunes hommes avaient aussi fièrement épinglé sur leur veste des badges où l’on pouvait lire “Bon pour le Service” et encore “Bon pour les Filles”. Un groupe de musiciens les précédait.
      Les conscrits collectaient dans un grand panier en osier des œufs et du lard, et aussi de l’argent. Le dernier soir de ces festivités, les jeunes filles du village étaient invitées au bal des conscrits. La femme de l’aubergiste avait confectionné une énorme omelette au lard, pour toute cette jeunesse. Les danses devaient durer jusqu’au petit matin. Les conscrits les plus souples aimaient danser accroupis, pour exécuter le Katzedanz, sorte de jeu acrobatique des jambes que l’on nomme aussi le “pas russe ou cosaque”.

Une coutume de l’Alsace Bossue : Chercher la Kirb (d’Kirwhole)
      La veille de la Kirb (fête patronale), les futurs conscrits cachaient une bouteille de vin devant les maisons, dans les jardins ou sous le Schopf (grange) des jeunes filles qu’ils désiraient inviter. Le dimanche de la Kirb, après le repas de midi, ils cherchaient, installés sur les charrettes avec l’orchestre, ces bouteilles cachées et invitaient les jeunes filles au bal de la Kirb. Toute la population suivait.
      Une bouteille avait été placée près de la maison du maire, devant laquelle les musiciens s’arrêtaient pour jouer un morceau. Le chef des conscrits décapitait, d’un coup sec de hache, la bouteille de vin et offrait à boire au premier magistrat qui, à son tour, offrait quelques bouteilles immédiatement bues par l’assemblée.

Autres coutumes liées à la conscription
      Le dimanche suivant le mardi-gras, jour du carnaval des paysans autrefois, les jeunes des villages d’Alsace, et particulièrement les conscrits, confectionnaient un bûcher et allumaient les feux de carnaval.
      Les conscrits participaient aussi, dans d’autres villages, au Schieweschlaawe ou lancement de disques enflammés (dans la nuit du carnaval des paysans), surtout dans le Kochersberg et la région de Schirmeck, de même qu’à Offwiller. Après une période de léthargie, ces traditions reviennent depuis quelques années, mais pas nécessairement à la même date.

Le service militaire, passage obligé vers la vie d’homme
      Les garçons étaient en général plutôt fiers d’être “Bon pour le service”, car c’était une preuve de bonne santé et les jeunes filles étaient sensibles au fait que les garçons aient effectué leur service !
      On disait d’un jeune exempté des obligations militaires : “Es isch ken richtiger Mann !” (Ce n’est pas vraiment un homme !). D’autre part on pensait que la discipline militaire, la vie à la caserne aguerrissaient les garçons et leur apprenaient à vivre sans leurs parents et à être prêts pour fonder une famille.
      Depuis la fin des années 60, cette conception du service militaire a beaucoup évolué, jusqu’à la suppression récente de la conscription et du service militaire obligatoire !
      La conscription a profondément marqué la vie quotidienne autrefois, en tant que rite de passage des garçons vers la vie d’homme adulte, et par ses implications dans l’art populaire et le folklore authentique de nos campagnes.

La photo de la classe
     L’incontournable photo de classe du conscrit était en général pieusement gardée pendant toute la vie, au même titre que la photo de confirmand,  e communiant ou de marié.