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LE MONDE FASCINANT DES LIBELLULES
C’est avec émotion que l’on découvre les premières lueurs du printemps. Les bourgeons des arbres explosent et ponctuent les paysages de vert tendre. Des nuages blancs s’échappent des haies grises. Très vite, des taches de couleur surgissent et redonnent vie à la terre. Les abeilles en habit de pollen bourdonnent dans les airs. D’autres insectes s’agitent, se pressent et se gavent du nectar des fleurs. Les premiers papillons virevoltent gaiement, comme enivrés par les premiers parfums. Les oiseaux lancent leurs ritournelles et les journées s’égrènent allègrement.
Bonjour les demoiselles
Près des eaux, les premières libellules apparaissent. Ce sont toujours les plus petites qu’on aperçoit en premier. Oui, celles qu’on surnomme aussi les demoiselles ! Et pour cause : elles volettent avec tant de grâce… En les observant de plus près, on découvre avec étonnement la beauté et la finesse des corps aux contours fragiles. Et lorsqu’on les suit du regard, elles nous échappent bien souvent, disparaissant dans l’herbe et les plantes, où elles se posent et se fondent, en repliant leurs longues ailes étroites et transparentes.
La saison du renouveau est maintenant bien installée. Les plantes aquatiques poussent à vue d’œil et on remarque la présence de libellules plus grandes et plus trapues. Celles qui ressemblent si étrangement aux hélicoptères ! Sans relâche, elles tournoient à grande vitesse au-dessus de l’eau. Certaines répètent inlassablement les mêmes trajectoires. Il leur arrive aussi de stopper net leur course folle, en restant en vol stationnaire. Mais lorsqu’elles se posent, contrairement aux demoiselles, les ailes restent toujours entièrement ouvertes. Le soleil se fait un malin plaisir à faire miroiter les surfaces damassées et brillantes.
Déjà l’été ! Sous la chaleur, les gracieuses créatures dansent et engagent des courses folles. Très voraces, elles chassent en vol ou à l’affût, fondant sur leurs proies qu’elles capturent entre leurs puissantes mandibules. Accouplements et pontes se succèdent. Les cœurs tourbillonnent et se perdent dans la végétation luxuriante. La concurrence est rude entre les mâles et les espèces. Des bagarres se déclenchent à tout moment et les insectes agités font crisser leurs ailes de verre. Les vols répétés laissent feuilles et brindilles tremblantes et les épis des carex crachent des vapeurs de pollen. Dans l’atmosphère flotte le parfum capiteux des reines des prés, fidèles sentinelles au beau milieu des herbes et autres fleurs, qui affectionnent, comme elles, les sols toujours frais.
Des insectes remarquables
Les libellules sont dotées d’une vision remarquable. Elles possèdent de gros yeux composés de milliers de facettes, comme 10 à 30 000 yeux simples. Au sommet de la tête extrêmement mobile, se trouvent encore trois petits yeux qui leur permettent de distinguer le jour et la nuit. Elles possèdent trois paires de pattes qui sont parfaitement ancrées sous le thorax, lui-même muni de quatre grandes ailes. Quant à l’abdomen, il est allongé et presque toujours cylindrique, parfois aplati ou encore très élargi. Il se compose de segments articulés, très utiles pour l’accouplement et la ponte.
Prés d’une centaine d’espèces existe en France. En Alsace, on en compte avec fierté presque cinquante. Toutes ces merveilleuses créatures ont des besoins pourtant différents. Certaines fréquentent les canaux, les endroits calmes des ruisseaux et des rivières ou encore les fleuves. D’autres sont plutôt fidèles aux mares, étangs, plans d’eau ou lacs plus ou moins grands. D’autres encore préfèrent les eaux stagnantes et se plaisent dans les marécages. L’oxygène dans l’eau, sa température, son acidité, ses teneurs en sels minéraux, représentent des facteurs très importants. Les plantes aquatiques et riveraines sont également nécessaires à la vie des libellules. Mais dans tous les cas. la qualité de l’eau est essentielle. Les milieux non pollués et bordés d’une végétation abondante, accueillent toujours une faune et une flore remarquables.
La vie sous l’eau
Au stade de larves, ces insectes ne sont pas vraiment très beaux. Leur apparence est plutôt austère. Elles vivent une vie aquatique très discrète. Elles passent leur temps à chasser à l’affût, camouflées dans la verdure ou cachées sous la vase. Certaines espèces vivent sous l’eau pendant quelques mois, alors que d’autres y restent durant des années. Elles muent aux différents stades de leur croissance et peuvent changer de peau plusieurs fois, avant la transformation finale. Mais lorsqu’une larve arrive à ce stade, elle ne s’alimente plus et se cantonne alors dans l’eau peu profonde, en attendant le bon moment pour sortir. Lorsque les conditions météo le permettent – et toujours durant la nuit – elle grimpe maladroitement le long d’une tige, se hisse sur une feuille flottante ou bien sur une pierre. A l’aube, la métamorphose a lieu.
De la vie aquatique à la vie aérienne
Une fois hors de l’eau et sous la pression des ailes, lentement la carapace se fend, puis se brise. Progressivement l’insecte se déplie, dégageant d’abord son thorax, puis sa tête, ses pattes et enfin son abdomen. Lorsque son corps est entièrement déployé, il durcit progressivement en séchant au soleil. A ce stade de l’évolution, une grande libellule reste encore prisonnière dans sa peau par l’extrémité de son abdomen. Elle se renverse alors en arrière et se laisse pendre vers le bas. Elle se contorsionne et se balance jusqu’à pouvoir s’agripper sur la tige, au-dessus de sa dépouille larvaire. A ce moment-là, elle se libère enfin. Lentement l’abdomen s’allonge et les ailes fripées comme du papier se déplient. Sous le soleil, les couleurs pâles évoluent et deviennent plus éclatantes. A présent, la jeune et gracieuse libellule peut entamer sa vie aérienne, somme toute très éphémère, plusieurs jours seulement, parfois quelques semaines… Durant ce temps, elle chasse et se chauffe au soleil. Ses organes sexuels évoluent, les couleurs de son corps se modifient et ses ailes perdent peu à peu leur remarquable brillance. Toute son existence est presque entièrement vouée à la reproduction.
Unique dans le monde animal
Un mâle patrouille sans cesse au-dessus de l’eau, à la recherche d’une femelle. Dès que l’occasion se présente et se moquant de tout préliminaire, il l’attrape avec ses pattes, la saisit entre la tête et le thorax avec la pince située à l’extrémité de son abdomen. A cet endroit se trouve également son pore génital abritant les glandes sexuelles. Avant la fécondation, le reproducteur recourbe celui-ci et transite ses semences vers son organe copulatoire, situé sous l’abdomen au niveau des ailes. L’opération terminée, il se redresse et l’accouplement peut avoir lieu. La femelle consentante courbe à son tour l’abdomen et rejoint l’organe sexuel de son compagnon. Les partenaires forment une roue nuptiale, appelée plus communément “cœur copulatoire”. Le temps de la pariade diffère d’une espèce à une autre. Il varie de quelques secondes à plusieurs heures. Chez les libellules à copulation brève, les ébats s’enchaînent en vol. Pour les autres, le couple se pose sur une plante ou au sol. après un vol en tandem plus ou moins long. Chez certaines espèces, le mâle s’adonne à un vol nuptial, afin d’attirer l’attention d’une femelle.
La ponte se produit immédiatement après l’acte. Certaines femelles possèdent à l’extrémité de leur abdomen, une sorte de tarière avec laquelle elles perforent et insèrent un après l’autre leurs œufs dans les tissus des végétaux. Une libellule peut en pondre des centaines de cette manière. D’autres lâchent ou déposent sur un substrat leurs œufs directement dans l’eau, et une seule libellule peut alors larguer des perles par milliers. L’évolution des œufs dépend des conditions atmosphériques. Ils se transforment d’abord en larves primaires, ce qui leur permet de quitter leur milieu originel. Par exemple : des œufs insérés dans des végétaux se trouvant sur les rives peuvent tomber au sol. A ce stade, ils auront la capacité de sauter jusque dans l’eau. Les larves primaires se divisent ou se fendent en deux, pour donner naissance à des larves.
Les prédateurs
A tous les stades, les larves sont consommées par des poissons, certains échassiers et de gros insectes aquatiques. Quant aux libellules, surtout lors de la ponte, les poissons et les batraciens les happent lorsqu’elles évoluent au ras de l’eau ou se posent sur des plantes immergées. Canards et hérons les capturent. Certaines mouches, les hirondelles et les gobe-mouches les chassent en plein vol. Les araignées les piègent à l’aide de leur toile judicieusement placée dans la végétation.
Les libellules sont elles-mêmes très voraces. Entre elles, le cannibalisme existe (des jeunes ou des espèces plus petites sont dévorées). Larves et libellules sont également victimes de nombreux parasites.
Le danger guette
Il est important de rappeler que les libellules, petites ou grandes, n’attaquent jamais l’homme, contrairement à certaines idées reçues ou superstitions. Elles ne chassent pas les abeilles comme certains l’affirment… Leur présence est très bénéfique pour l’homme puisqu’elles capturent un nombre important de moustiques, moucherons, taons, tipules. etc. Mais aujourd’hui il faut tirer la sonnette d’alarme ! Les libellules se raréfient et sont beaucoup moins communes qu’autrefois. Depuis des années, des études scientifiques confirment la disparition de certaines espèces. Les causes sont souvent liées à la pollution de l’eau et à la disparition des habitats. Les milieux aquatiques sont victimes d’assèchement naturel, une raison supplémentaire pour que l’homme reconsidère l’utilité des petits trous d’eau, malheureusement trop souvent comblés pour leur inutilité. La destruction systématique des plantes aquatiques qui peuplent les étangs est également néfaste à la vie et à la survie de ces prodigieux insectes.
A présent, il devient urgent de préserver les habitats encore existants. Parler de préservation ou de protection ne signifie pas qu’il faut laisser ces milieux à l’abandon… Leur entretien est également nécessaire, car il contribue à maintenir un certain équilibre. La création de nouveaux plans d’eau ne peut être que favorable. Même une petite mare de jardin accueille plusieurs espèces.
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Texte et photos Christiane HUBRECHT