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BOUILLEUR DE CRU
Une espèce en voie de disparition?

     Commençons tout d’abord par définir les choses : il faut distinguer distillateur professionnel, bouilleur de cru et privilège de bouilleur de cru.
     Le Code Général des Impôts est tout à fait clair sur ces points, qui fixe dans ses articles 303 à 520 la réglementation générale relative à la production, la circulation et le commerce des vins et alcools. [Livre Premier/1ère partie/Titre III/Chapitre Premier/Art. 303 à 520]
Distillateur [Art. 322]
     Sont considérées comme bouilleurs et distillateurs de profession et tenues, en cette qualité, de déclarer les boissons qu’elles possèdent au siège de leurs établissements et dans l’étendue du canton où sont situés lesdits établissements et les communes limitrophes de ce canton, les personnes ou sociétés qui distillent ou rectifient des produits d’achat ou des matières de récolte autres que celles visées aux articles 315 et 316.
Bouilleur de cru [Art. 315 et 316]
     Est considéré comme bouilleur de cru tout particulier propriétaire d’un verger ou d’une vigne inscrits au cadastre. Il peut distiller les produits issus de cette parcelle. Il ne s’agit donc pas d’un distillateur professionnel.
Privilège des bouilleurs de cru [Art. 317]
     Ce qu’on appelle privilège des bouilleurs de cru est, en fait, le droit qu’ils ont de faire distiller jusqu’à 10 litres d’alcool pur sans avoir à payer des droits d’accise, nom de l’impôt indirect perçu sur la consommation, parfois aussi le seul commerce de certains produits, en particulier le tabac, l’alcool et le pétrole et ses dérivés. 

Réglementation générale

>>> lire l’extrait du Code des Impôts relatif aux bouilleurs de cru.

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     Le privilège des bouilleurs de cru fut introduit par Napoléon au profit de ses grognards. Il consiste à autoriser la distillation de 10 litres d’alcool pur (ou 20 litres d’alcool à 50°) sans payer de taxes. Ce droit n’était pas attaché à la terre, mais à la personne. Il était héréditaire, et ce jusqu’en 1960 où sa transmission entre générations fut interdite : seul le conjoint survivant pouvait dorénavant en user jusqu’à sa propre mort, mais plus aucun descendant. En fait, il a été supprimé dès 1954 sous le gouvernement Mendès-France par un vote parlementaire lui-même rendu exécutoire par ordonnance en 1960.

     Ce droit devait s’éteindre définitivement au 31 décembre 2007, mais suite aux interventions d’élus ce ne fut finalement pas le cas et plusieurs péripéties parlementaires en ont retardé l’application. Mais le privilège des bouilleurs de cru est aujourd’hui quasiment révolu, leurs derniers possesseurs ayant en moyenne près de 90 ans.

     Ceci dit, ceux des bouilleurs de cru ne bénéficiant plus de nos jours du privilège ont droit à une remise de 50% sur les taxes pour les 10 premiers litres d’alcool pur, produits pour un usage non commercial.

      En 1990, les bouilleurs de cru alsaciens étaient encore au nombre de 31 600. En 2008 on n’en comptait déjà plus que 3 700 dans les deux départements alsaciens, 350 en Moselle. Combien en 2020 ? On constate certes quelques signes positifs : une formation a été organisée par l’association arboricole de Puberg en 2004 (DNA/Edition de Sarre-Union du 30 juillet 2004), et en janvier 2009 la Fédération des producteurs de fruits du Bas-Rhin a réuni à Kirchheim 300 particuliers, venus de tout le département, dont certains jeunes, pour une formation d’une journée à la théorie et la pratique de la distillation (voir DNA du 1er février 2009, pages régionales). S’agit-il d’une amorce de renouveau ou serait-ce le chant du cygne, voire du col de cygne ? Seul l’avenir nous le dira.

Et en Alsace Bossue ?
     Dans cette région éminemment rurale et terre de vergers, cette tradition a longtemps perduré et se pratique encore de nos jours. Le pasteur Freddy Sarg, ethnologue de l’Alsace à ses heures et qui a collecté maintes traditions relevant de la mémoire immatérielle, a consacré une de ses études aux bouilleurs de cru de notre région : lire “A Schnapsbrenner vum Grumme“.

     Plus près de chez nous, à Lorentzen, Charles Bender, agriculteur à la retraite, bénéficiait encore du droit de distillation. Un jour, un ami lui rendit visite et Charles lui fit goûter sa “mirabelle 2000”. Ce breuvage au goût exquis suscita l’intérêt de cet ami pour qui la fabrication du schnaps comportait encore quelque mystère… Ce film de Thierry Roser de la webTV Télécigogne a pour but de faire découvrir aux uns les secrets de fabrication du schnaps et aux autres de revivre, avec nostalgie, quelques instants de leur passé de bouilleur de cru : voir en version alsacienne “Schnaps im Krumme“.

     A Weislingen même, nous avons suivi les péripéties d’une équipe de Schnapsbrenner à l’orée des années 2000 : voirLa saga du schnaps“.

     Enfin, plus récemment, Francis Haehnel, le président des arboriculteurs de Butten, confiait au journaliste ses secrets de fabrication d’une eau-de-vie de qualité (DNA/Edition de Sarre-Union, 12 mai 2017). Ecoutons-le…
“Tout commence dans le verger. Il faut récolter des fruits sains, mûrs et propres, sans queues ni feuilles, quitte à laver ceux qui sont tombés. Pour une bonne fermentation, il faut une matière liquide, donc broyer les fruits au préalable, remplir les fûts au maximum pour éviter l’oxydation. Il faudra ensuite attendre entre six à dix semaines, en remuant toutes les 24h d’abord, puis toutes les 48h, pour éviter la formation d’une croûte. Quand la fermentation est achevée, je distille immédiatement. Les noyaux sont alors filtrés, et le liquide versé dans l’alambic. Une première passe fournit les eaux blanches, qui sont alors redistillées. L’eau-de-vie est le produit de cette deuxième passe, qui nécessite le plus de savoir-faire. Il faut être concentré, lucide, vigilant.  Le “Vorlauf” ou la tête, c’est à dire les premiers centilitres qui sortent de l’alambic, doivent être ôtés. On sait aujourd’hui que le premier alcool à s’évaporer est le méthanol, très nocif. J’enlève ainsi une dizaines de verres de 25cl. Puis au fur et à mesure que la température augmente dans l’alambic, vient le coeur. A la fin arrive le “Nachlauf” ou la queue, de plus en plus faible en alcool. Il faut savoir quand s’arrêter…. Aujourd’hui, distiller doit être une passion. C’est le plaisir d’offrir son propre schnaps, fait avec les fruits de son verger.” Et d’annoncer  la mise en place par ses soins de 3 ateliers de formation en 2017 et 2018. “Car c’est en partageant nos connaissances qu’on assurera la relève.”

Vous avez dit chant du cygne?